Pourquoi faut-il aller en réanimation après une chirurgie cardiaque ?
De la réanimation de chirurgie cardiaque… Pourquoi faut-il aller en réanimation après une chirurgie cardiaque ? Interview du médecin réanimateur responsable de la réanimation de chirurgie cardiaque adulte.
Docteur, vous êtes en charge de la réanimation de chirurgie cardiaque, dites nous pourquoi « une réanimation » est nécessaire après la chirurgie cardiaque ?
– Dr R : Oui je comprends tout à fait l’interrogation et l’inquiétude suscitées par ce mot qui fait peur. Je dois d’abord vous dire que dans plus de 95% des cas les suites de la chirurgie cardiaque sont simples et favorables, permettant le retour du patient dans une chambre « normale » le deuxième ou troisième jour après l’opération.
Alors si tout est simple pourquoi « une réanimation » pour 95% de patients qui vont bien ?
– Dr R : Oui, effectivement cela peut paraître disproportionné ! Il faut vous dire que les opérations de chirurgie cardiaque se pratiquent sous circulation extra corporelle (CEC), c’est-à-dire que la fonction cardiaque est remplacée temporairement par une pompe et la fonction pulmonaire par un oxygénateur. Sans rentrer dans les détails, il est facile de comprendre que ce « grand chamboulement » de deux des principaux organes que sont le cœur et le poumon, qui assurent la perfusion et l’oxygénation de tous les autres organes, demande un petit temps de « réparation ». Ceci explique cette phase de réanimation.
Mais n’existe-t- il pas des opérations sans circulation extra corporelle ?
– Dr R : Vous avez parfaitement raison ! Les pontages coronaires peuvent être réalisés sans CEC et de façon encore exceptionnelle les remplacements de la valve aortique. Nous avons à l’institut une large expérience des pontages sans CEC. Notre centre est aussi habilité à pratiquer les remplacements valvulaires sans CEC. Si effectivement les patients pontés coronaires « à cœur battant » n’ont pas à subir le retentissement général de la CEC, leur cœur a du être « immobilisé » par un système stabilisateur, ce qui n’est pas sans conséquences sur son fonctionnement dans les heures qui suivent, et ils nécessitent donc une surveillance en réanimation.
Docteur, vous ne nous avez toujours pas dit pourquoi la réanimation et en quoi elle consistait exactement ?
– Dr R : Oui c’est juste, mais rassurez vous je ne fuis pas la question ! Comme je vous le disais précédemment la circulation du sang dans tout l’organisme est assurée de façon artificielle, le sang est rendu incoagulable et le poumon est exclu, il n’est plus ventilé. Aussi l’ensemble des organes peut être l’objet d’une « souffrance » plus ou moins importante ce qui justifie cette courte « réanimation » post-opératoire qui pallie ces « défaillances » temporaires. En pratique les patients rejoignent la réanimation encore endormis, sous respirateur artificiel. Ils ont des perfusions dans les bras, dans le cou, ils sont sondés au niveau de la vessie, ils portent des drains, et ont les mains attachées.
Mais tout cela est horrible !
– Dr R : Oui sans doute parce que nous sommes là dans un confortable fauteuil devant un soda et notre imagination est violemment sollicitée. Rassurez vous, toutes ces choses sont mises en place sous anesthésie générale et les patients demeurent sous anesthésie générale pendant quelques heures.
Mais à quoi servent tous ces tuyaux ?
– Dr R : Bien ! Commençons par les cathéters dans les veines : ils servent à surveiller les pressions intra cardiaques, à hydrater le patient, à compenser les pertes sanguines, à injecter les médicaments et éventuellement des drogues tonicardiaques puissantes. Un cathéter placé dans une artère permet une surveillance précise et continue de la pression artérielle. La sonde urinaire, introduite dans la vessie par les voies naturelles permet de connaître le débit urinaire horaire qui est pour nous un paramètre essentiel. Les drains placés dans le thorax permettent d’évacuer le saignement inévitable après cette chirurgie, ils permettent aussi de mesurer et de surveiller le débit de ce saignement. La sonde d’intubation trachéale relie le patient au respirateur, elle permet d’insuffler les poumons. Les patients doivent bien comprendre qu’à cause de ce tube qui passe entre les cordes vocales et les empêche donc de bouger, ils ne peuvent donc plus parler de façon temporaire.
Docteur, vous nous parlez de choses très impressionnantes tous ces tuyaux, ces drains cela doit être très douloureux ?
– Dr R : Oui, mais je vous rappelle que les patients restent endormis pendant plusieurs heures, qu’ils reçoivent des médicaments anti-douleurs puissants en continu jusqu’au retrait de l’assistance respiratoire. L’administration de ces médicaments est l’objet d’un protocole de prescription qui permet une administration optimale.
Vous ne nous avez pas parlé des 5% de patients qui n’ont pas des suites simples ?
– Dr R : Oui malheureusement un faible pourcentage de patients connaît des suites difficiles voire très difficiles.
Ces suites difficiles sont elles prévisibles ?
– Dr R : Dans la plupart des cas oui. La cause de ces suites difficiles est soit préopératoire, soit per-opératoire, soit post-opératoire soit les trois. L’état préopératoire du patient est déterminant. Son état cardiaque mais aussi son état artériel, son état général, la présence de certaines maladies comme le diabète, la bronchite chronique, l’insuffisance rénale, le surpoids, constituent des facteurs de risque. Le déroulement de l’opération peut lui-même être la source de complications : des difficultés techniques imparables, des lésions non décelées malgré les examens préopératoires. Et comme je vous l’ai déjà dit, potentiellement tous les organes peuvent souffrir pendant la phase péri opératoire : le cerveau, le cœur, les poumons, le foie, les reins, le tube digestif : estomac pancréas…. L’ensemble de ces phénomènes peut conduire à des défaillances post opératoires temporaires de certains organes dont la réparation sera plus ou mois rapide ou plus ou moins complète. Au maximum la défaillance est dite multiviscérale et devient vite irréversible. De plus, une infection est toujours possible. Ces patients sont temporairement immunodéprimés et l’antibiothérapie préventive systématique ne parvient pas toujours à juguler l’infection.
Pourquoi opère-t- on des patients dont on prévoit des suites difficiles voire très difficiles ?
– Dr R : Parce que la médecine n’est pas une science contrairement à ce que d’aucuns voudraient nous faire croire. Elle s’adresse au vivant, à l’humain dans tout ce qu’il a de plus complexe et de mystérieux. Ainsi chaque fois que le pronostic d’un patient a des chances raisonnables d’être amélioré par une opération réalisable, celle-ci est réalisée. Elle est bien évidemment précédée d’une discussion médico-chirurgicale entre les différents praticiens impliqués : cardiologues anesthésistes, chirurgiens, réanimateurs. Le résultat de cette confrontation est ensuite rapporté au patient s’il est en état de l’entendre, et à la famille. C’est seulement après que la décision d’opérer est prise, sauf urgence vitale.
Docteur, merci pour toutes ces précisions